Qu’appelle-t-on risques psychosociaux au travail ? Ces risques augmentent-ils ? Peut-on les détecter ?

Autant de questions sur les risques psychosociaux auxquelles Valérie Cirier, psychologue en Santé au Travail à l’AHI33, a accepté de répondre pour Inside.

Présentation de Valérie Cirier (risques psychosociaux)

Valérie Cirier est psychologue en santé. Elle partage son temps entre un emploi à mi-temps de à l’AHI33, le service interentreprises de Santé au Travail. Ainsi que son cabinet où elle reçoit sa propre patientèle.

Après une carrière dans les ressources humaines en entreprise puis en tant que consultante, Valérie s’est réorientée vers la psychologie. A l’AHI33, en tant que psychologue en Santé au Travail, elle peut intervenir au sein des entreprises sur tous types de missions en lien avec les RPS.

Nous avons rencontré Valérie afin de mieux comprendre la notion de risque psychosocial au travail du point de vue de la médecine du travail.

 

Qu’appelle-t-on exactement risque psychosocial ?

Valérie Cirier

C’est un terme très usité aujourd’hui qui recouvre de multiples réalités. Selon l’Agence de Santé et Sécurité au Travail, les Risques psychosociaux peuvent être définis comme « l’ensemble des contraintes mentales, sociales et organisationnelles au travail, susceptibles d’induire des effets néfastes sur la santé de celui qui les perçoit ».

Il s’agit donc bien de distinguer les facteurs de risques, et les conséquences de ces facteurs de risques sur l’individu que sont les troubles psychosociaux et les atteintes à la santé. Le simple fait d’être exposé à un facteur de risque n’entraine pas forcément de troubles psychosociaux.

 

On parle beaucoup de risques psychosociaux actuellement. Est-ce que ces risques ont augmenté ces dernières années, ou est-ce parce qu’on y fait simplement plus attention qu’avant ?

Valérie Cirier

Je pense que les 2 points de vue représentent une réalité. On peut tout de même citer quelques chiffres édifiants.

Depuis 2007, le risque psychosocial est la première cause de consultation en pathologie professionnelle. En 2016, on compte plus de 10 000 cas d’affections psychiques reconnus comme accident du travail. Ce qui est important à signaler, c’est que ce chiffre était en augmentation alors que le nombre d’accidents du travail était, lui, en diminution. Par ailleurs, les arrêts maladie liés à ces affections sont plus longs que les autres ; on parle de 112 jours en moyenne.

La prévention des risques psychosociaux est donc devenue un enjeu majeur de santé publique. La prévention des RPS, La qualité de vie au travail se retrouvent de plus en plus au centre des préoccupations des entreprises. D’abord parce qu’il y a des obligations légales en termes de prévention des RPS, mais aussi, car au-delà de l’aspect humain, une non prise en compte des RPS peut avoir des conséquences économiques négatives sur l’entreprise (turn-over, arrêts maladie, baisse d’efficacité…).

 

Tous les secteurs sont-ils concernés par les risques psychosociaux ?

Valérie Cirier

Oui, même si certains sont plus touchés que d’autres, tout de même. Par exemple, le secteur médico-social, le transport, le commerce.

Par ailleurs, quelle que soit la taille de l’entreprise, le salarié peut être exposé à des facteurs de risques psychosociaux.

À votre avis, y’a-t-il une raison particulière pour justifier cette augmentation des maladies liées aux risques psychosociaux ?

Valérie Cirier

Plusieurs raisons (sans que ce ne soit exhaustif) peuvent être, me semble t’il, à l’origine de ce phénomène.

On peut bien sûr, évoquer en premier lieu une montée de l’individualisme au travail. Or, nombre d’études présentent le soutien social perçu (soutien des collègues, de la hiérarchie…) comme un facteur protecteur dans l’entreprise. Le salarié, peut ne plus se sentir assez soutenu par ses collègues et être amené à affronter seul ses difficultés.

De plus, les changements répétés à quelque niveau que ce soit (organisationnels, matériels…) insuffisamment accompagnés sont sources de fortes tensions.

Le manque de reconnaissance, également est très souvent dans nos consultations individuelles présenté comme un élément qui a accentué le mal-être au travail. Effectivement, lorsque votre travail est reconnu par vos pairs, votre hiérarchie, cela lui donne un sens à vos yeux, vous vous sentez utile. Dans le cas contraire, le salarié peut vraiment ressentir un déséquilibre dans sa relation au travail qui peut avoir à terme un effet délétère sur sa santé.

 

 

Vous parliez de facteurs de risques psychosociaux : en existe-t-il une liste ?

Valérie Cirier

Oui, le Rapport Gollac qui fait la synthèse de la littérature internationale sur le sujet mettant en lien les liens avérés entre contraintes professionnelles et atteintes à la santé a fait ressortir 6 groupes de facteurs de risques. Il s’agit des :

Exigences de travail
Exigences émotionnelles
De l’autonomie au travail
Rapports sociaux entre collaborateurs
Conflits de valeur
De l’insécurité de la situation de travail

Un salarié peut se trouver confronté à plusieurs de ces risques à un instant de sa vie et ne pas en souffrir ou du moins trouver les capacités à y faire face. À un autre moment, selon le contexte, il n’aura plus les ressources suffisantes pour y faire face. Cela peut alors être compliqué pour ce salarié d’accepter cette situation, d’accepter ses propres limites et de se protéger. Dans ces cas, notre rôle en tant que psychologue est d’amener le salarié à reconnaître ce qu’il vit, de prévenir d’éventuelles situations d’épuisement, de l’amener à se protéger.

 

Justement, qu’est-ce qui fait que les choses peuvent basculer ?

Valérie Cirier

Plusieurs choses.

Tout d’abord, le fait d’être exposé à une multiplicité de facteurs de risques, de manière simultanée. Le risque augmente alors de développer une atteinte à la santé.

La durée, également, augmente le risque. Si vous avez un projet à rendre et que cela provoque une forte charge de travail pendant un certain temps, mais que vous savez qu’à l’échéance, vous reviendrez à un rythme de travail normal, vous le supporterez. En revanche, si ce rythme s’inscrit dans la durée, le risque d’atteinte à la santé augmente.

Le fait de subir une situation constitue également un facteur aggravant. Par exemple, si une personne n’est pas satisfaite d’un travail qu’on lui confie, mais qu’elle choisit d’accepter de le faire parce que cela va lui permettre de développer certaines compétences, alors elle pourra sans doute y faire face car elle donne un sens à cette tâche. Le risque est majoré si ça lui est imposé et qu’elle n’y trouve pas de compensations.

Enfin, l’intensité d’une situation vécue peut à elle seule entrainer une atteinte à la santé. Je pense notamment à l’exposition à des situations professionnelles dramatiques ou traumatogènes telles le suicide d’un collègue de travail, une agression. Heureusement, ce sont des situations que l’on ne rencontre pas couramment…

Justement, dans votre pratique à l’AHI33, quels sont les contextes générant des risques psychosociaux que vous rencontrez le plus couramment ?

Valérie Cirier

Je pense que ce sont ceux liés au changement, tous secteurs d’activité confondus. D’ailleurs, lorsque j’invite en consultation les salariés à me raconter leur histoire, à observer depuis quand pour eux leurs conditions de travail se sont dégradées. Bien souvent, à l’origine de leur mal-être, il y a eu un changement.

Aujourd’hui, l’entreprise va très vite. Elle vit de manière constante des changements organisationnels, d’équipe, de logiciels, de bureaux, etc. Elle ne pense pas forcément à accompagner ces changements, qui pourtant vont être déstabilisants. Et même s’ils s’inscrivent globalement dans le cadre d’une amélioration des conditions de travail.

Dans le cadre de changement d’outils de travail, même si le changement est considéré comme positif à terme, la rapidité du changement peut faire émerger des difficultés et des résistances. L’accompagnement au changement est nécessaire au bien-être.

Quelles sont ces atteintes à la santé que provoquent les risques psychosociaux et comment peut-on les détecter ?

Valérie Cirier

Avant de parler d’atteintes à la santé, on repère d’abord des troubles de diverses nature. Il y a les troubles cognitifs (des problèmes de mémoire ou de concentration par exemple), les troubles émotionnels (agressivité, pleurs…), des troubles somatiques (maux de dos, douleurs digestives…).

On peut aussi relever des changements au niveau comportemental par exemple, la personne se met à fumer un peu plus. Elle fait moins de pauses dans sa journée de travail. La personne peut aussi repérer son manque de disponibilité, de patience en fin de journée avec sa famille.

Ces troubles sont des signaux d’alerte qui indique que le travail fait mal. Et puis, si ces troubles ne sont pas pris en compte, ils peuvent amener à de véritables atteintes à la santé. Par exemple, des maladies cardiovasculaires, des troubles musculosquelettiques, le burn-out, la dépression…. D’où la nécessité d’une part de repérer ces signaux et d’autre part d’agir le plus tôt possible.

Quand il n’y a que le travail dans la vie, et quand ça ne va plus au travail, rien ne va. Donc, veiller à maintenir un bon équilibre de vie, à développer en dehors du travail une vie extra professionnelle riche et ressourçante apparaît bien sûr comme un facteur protecteur.

 

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* « Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser », Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, faisant suite à la demande du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, 2010

 

Interview d’Emmanuelle Momboisse sur les risques psychosociaux:

 

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